La définition usuelle du deuil se réfère à l’expérience de la mort d’autrui. On peut voir le deuil comme un passage qui commence à l’annonce du décès et dure jusqu’au moment où la personne endeuillée entre dans une phase d’acceptation, dans une nouvelle vie qui se reconstruit sans la personne défunte. Malgré cette définition simpliste, le deuil arbore de multiples facettes. On ne vit pas avec la même intensité le deuil d’un grand-parent et le deuil d’un enfant.
Dans tous les cas, la période qui suit un décès est marquée par des troubles émotionnels certains. La personne en deuil doit s’entourer, que ce soit par sa famille, ses proches, une association qui aide à traverser le deuil ou une prise en charge par un psychologue ou un psychiatre. Récemment, un trouble du deuil prolongé a fait son apparition dans le DSM-5, qui est l’ouvrage qui classifie les maladies mentales et leurs symptômes. Cette apparition pose question en faisant d’une période de fragilité normale, une pathologie.
Le deuil normal
Récemment, est paru le nouveau manuel qui sert de guide aux psychologues et psychiatres : le DSM-5. Auparavant, dans le DSM-4, le deuil était une simple situation qui pouvait nécessiter un entretien clinique pour le patient.
En psychologie, c’est Freud qui parle en premier du deuil dans son texte “Deuil et mélancolie” publié en 1917. Dans ce texte, Freud fait la part des choses en différenciant le normal et le pathologique : la tristesse provoquée par la perte (pour Freud, la perte peut être un proche, un amour, ou tout autre objet de désir) est normale, alors que la mélancolie qui n’a pas d’objet de déclenchement peut être symptomatique d’une pathologie. Plus tard, c’est Élisabeth Kübler Ross, psychiatre, qui travaillera toute sa vie pour faire reconnaître les cinq étapes du deuil, puis le psychologue John Bowlby qui décrit lui quatre phases du deuil.
Aujourd’hui, la psychologie retient que le deuil normal est un processus qui se caractérise par trois phases. Il dure la plupart du temps jusqu’à un an. Le début du deuil est une phase traumatique. Le milieu du deuil est une phase de dépression ou de repli. La troisième phase est une phase de réorganisation. Phase durant laquelle la personne endeuillée va effectuer un retour à la vie progressif, caractérisé par le retour des envies. Il existe aussi ce qu’on appelle le deuil compliqué. C’est un deuil dont les manifestations émotionnelles vont être différentes : soit annulées, soit exacerbées. Puis, lorsque le deuil se prolonge ou laisse place à des troubles dépressifs ou anxieux, on va parler de deuil pathologique.
Sémiologie du deuil pathologique
Le deuil pathologique ou deuil prolongé, est classifié comme une pathologie si les symptômes sont toujours présents après 12 mois pour l’adulte et après 6 mois pour l’enfant :
- Difficulté marquée à accepter la mort. Par exemple, la personne en deuil continue à parler du défunt au temps présent. Elle nie la réalité du décès ou arrête de vivre depuis le décès.
- Fait de se sentir choqué, abasourdi ou émotionnellement engourdi par la perte.
- Difficulté à se remémorer positivement des événements en lien avec la personne décédée.
- Sentiment d’amertume et de colère lié à la perte.
- Évaluations inadaptées sur soi-même en relation avec le défunt ou le décès (auto-accusation par exemple).
- Évitement excessif de rappels de la perte (refus d’en parler, nier en bloc).
- Désir de mourir pour être avec la personne décédée.
- Difficulté à faire confiance à d’autres personnes depuis le décès (hostilité à l’égard des autres).
- Sentiment de solitude ou de détachement d’autres personnes depuis le décès.
- Sentiment de vacuité sans le défunt, conviction qu’on ne peut pas fonctionner sans la personne décédée.
- Confusion au sujet de son rôle dans la vie ou une diminution du sentiment de l’identité.
- Difficulté ou réticence à poursuivre des intérêts depuis le décès ou difficulté à planifier l’avenir.
Pourquoi le deuil pathologique est-il controversé ?
En 2016, une étude du Crédoc a démontré que 42% des français âgés de plus de 18 ans étaient en deuil. Ce n’est donc pas un fait rare : la tristesse liée à la perte d’un proche est parfaitement naturelle, elle varie en durée et en intensité selon plusieurs critères : le lien avec le défunt, l’âge du défunt, la brutalité de sa mort… Ces derniers temps, la mort et ce qui l’entoure commencent à reprendre ses droits. Mais le deuil reste encore mal nourri. Le recul de la religion et l’avancement de la crémation plongent les familles dans un vide. Les derniers instants de vie et ceux qui suivent la mort sont encore trop tabou. C’est un sujet qui n’est jamais abordé, comme si en parler allait les provoquer.
La fabrique des fous
La controverse réside dans l’image que l’on se fait de la pathologie. Une personne portant une pathologie psychique peut être facilement stigmatisée par la société. Alors en classifiant le deuil prolongé comme une maladie mentale, on classe une réaction naturelle comme une anomalie. En d’autre terme, le DSM-5 « rend fou” une partie de la population.
« Ce n’est pas une querelle d’experts. L’enjeu est de savoir si nous voulons une société qui “fabrique” des fous et étiquette comme maladies mentales certaines réactions normales comme la tristesse après un deuil », affirme le docteur Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste, qui a initié le mouvement de contestation. Pourtant, une étude a montré que 10% à 20% des personnes endeuillées vivent un deuil long (Shear K, Frank E, Houck PR, Reynolds CF. Treatment of complicated grief: A randomized controlled trial. JAMA 2005;293:2601–8.)
Dans notre article comment réconforter une personne en deuil, nous insistons sur le fait qu’une personne affaiblie par le deuil a besoin d’être entourée. Il est donc important de proposer une présence à la personne endeuillée. Vous pouvez offrir de l’aider à trier les affaires du défunt, l’aider dans les différentes démarches après décès, l’aider à faire ses courses, promener son chien… Une personne isolée socialement sera plus encline à développer des troubles psychiques. Anticiper les instants de fin de vie, faire confiance aux soins palliatifs, parler de la mort, parler du deuil, seraient autant de pistes pour que la société n’abandonne pas les personnes endeuillées aux mains de la psychiatrie.