Dans une société où la religion régresse et ou une quête à l’immortalité se fait sentir, il n’est pas étonnant de constater que la mort a du mal à trouver sa place. La mort, au sens propre, c’est l’arrêt complet de la vie. On est tous un peu confronté à un double sens de ce mot, il y a la mort au sens large, le fantasme qu’on s’en fait, les questionnements auxquels personne n’a de réponses. Et il y a ma mort, la fin de ma vie, et l’angoisse de vide qu’elle peut soulever. Entre les deux, il y a la mort de mes proches, et la peur du chagrin que suscite l’absence. L’auteur Jankélévitch (philosophe) propose cette approche grammaticale dans son livre “la mort” : la mort du « on », la mort du « je », et la mort du « tu ». Pour François Michaud-Nérard, directeur général des Services funéraires de la Ville de Paris nous sommes dans un schéma paradoxal où on scénarise la mort des personnalités, et de l’autre côté, on occulte “la vraie mort, celle qui pourrait nous toucher à titre personnel”. La mort est exclue du champ social et familial. Même la religion, l’histoire et la philosophie traitent la mort de manière théorique, mais la question des corps, des rituels mortuaires ou du deuil sont toujours écartées. Comme si nous ne parlions jamais autant de la mort que lorsqu’il s’agit d’en éluder la possibilité.
D’où vient le tabou?
La mort est souvent difficile à évoquer, parce que son évocation suscite la plupart du temps beaucoup d’émotions, de la tristesse et du chagrin. Ce n’est pas la mort en tant que telle qui provoque l’émotion mais le vide provoqué par l’absence de l’autre. La mort au sens large, a toujours fait peur, parce qu’elle est inconnue, mystérieuse, on ne sait pas et on ne saura pas. Pour obtenir des réponses, on peut se rapprocher des textes anciens ou des religions. Robert Hertz, un sociologue qui a étudié la question de la mort dans notre société, voit dans cette peur un refus de la société de s’accepter mortelle.
L’effet néfaste du déni
La façon d’envisager la mort dans notre société est marquée par le déni. Marie de Hennezel a travaillé pendant plusieurs années dans une unité de soins palliatifs en tant que psychologue et sait combien le déni est fort dans notre pays. À ses yeux, refouler la mort a pour conséquence une forte angoisse, une désocialisation et une perte de sens. La « révolution de la mort » que nous vivons sans le savoir passe par une réflexion globale et un travail de normalisation sur le plan symbolique et social. Dans le roman d’anticipation 1984, de George Orwell, qui décrit une société qui ressemble sous quelques aspects à la nôtre, il n’y a pas de mort, les gens sont effacés, comme s’ils n’avaient jamais existés, comme pour écarter toute émotion, ou toute humanité.
L’importance des rites
Si aujourd’hui vous pouvez acheter une crémation simple, sans cérémonie, ni fleurs ni fioritures, les pompes funèbres servent encore à accompagner et instaurer des rites funéraires et des rituels. Le rituel des obsèques est capital pour célébrer la vie de la personne qui part, et le rappeler à tous ceux qui restent. Ces rites agissent sur l’équilibre sociopsychique des personnes. Les rituels de fin de vie, et les diverses commémorations, ainsi que les lieux de mémoire, nous inscrivent dans la mémoire collective. Accorder de l’importance à la mort, en célébrant ce qui a été, c’est une manière naturelle d’accorder de l’importance à la vie et à ce qui est.
La fin du tabou
Notre société est en train de vivre un changement dans sa vision et ses attitudes face à la mort. Dans le milieu funéraire, on peut observer une volonté de la part des familles de célébrer les obsèques comme on célébrerait les autres grands événements de la vie. Aux États-unis et au Canada par exemple, les maîtres de cérémonies laïques et les funeral planner ont un succès grandissant. Le déclin de la religion a laissé un vide dans les pratiques, mais ce vide commence à être comblé par une réflexion commune qui voudrait redonner sa place au temps. Les personnes endeuillées se donnent à nouveau le temps du recueillement, de la mémoire. C’est ce même temps que l’on accorde aux personnes en fin de vie, en soins palliatifs. En 2011, l’observatoire de la fin de vie écrivait dans un rapport « La mort tend à retrouver un certain “droit de cité”. Ce mouvement, remonte aux années 1980, avec l’émergence des débats sur l’euthanasie ou le suicide assisté, mais surtout avec le développement des soins palliatifs». En soins palliatif, ce temps est une question importante. On se donne le temps de parler de la mort, en famille, avec ses enfants ou à travers des medias, et de régler les conflits internes, pour partir sereinement.
Finalement, une société dans laquelle la mort n’est pas taboue est peut-être une société où, en acceptant sa propre finitude, on redonne au temps sa juste valeur et on vit en profitant de ce temps, avant qu’il nous soit retiré.
Bibliographie
Louis-Vincent Thomas, La mort Que sais-je
François michaud nérard, Une révolution rituelle
Marie de Hennezel
et Édouard de Hennezel, Qu’allons-nous faire de vous ?
Michel Vovelle, Aujourd’hui, la mort
Patrick Baudry, La Place des morts, et Pourquoi des soins palliatifs ?